Taxe annuelle sur les locaux en Île-de-France : assimilation d’un espace de « coworking » à un local commercial – par Julien Thiry – Revue de Droit Fiscal 14 avril 2023


Solution. – Pour l’application de l’article 231 ter du CGI, seule doit être prise en compte l’utilisation effective des locaux au 1er janvier de l’année d’imposition soit comme bureaux, soit pour la réalisation d’une activité de commerce ou de prestation de services à caractère commercial ou artisanal. Dans ces conditions, les locaux affectés à une activité de « coworking » doivent être regardés comme utilisés pour la réalisation de prestations de services et ainsi, être qualifiés de locaux commerciaux et non de bureaux.

Impact. – Des espaces de « coworking » au sein desquels sont proposées des prestations de services complémentaires peuvent bénéficier du tarif applicable aux locaux commerciaux en matière de taxe annuelle sur les bureaux en Île-de-France.

TA Paris, 2e sect., 1re ch., 29 nov. 2022, n° 2113114, Sté Deskodine, concl.
V. Mazeau, note J. Thiry

1. La société par actions simplifiée à associé unique Deskodine, propriétaire de locaux situés 48, rue du château d’eau à Paris, a donné à bail à la société Deskopolitan ces locaux qu’elle exploite pour une activité de mise à disposition d’espaces de « coworking ». Elle a souscrit concernant ces locaux des déclarations de taxe annuelle sur les bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement, pour une surface de bureaux de 1 206 m², et s’est acquittée, à ce titre, d’une taxe de 21 165 euros pour l’année 2018, 23 287 euros pour l’année 2019 et 27 955 euros pour l’année 2020. Par une réclamation du 22 décembre 2020, la société Deskodine a demandé la décharge de ces impositions au motif que les locaux concernés ne constituaient pas des locaux de bureaux mais des locaux commerciaux d’une surface inférieure à 2 500 m², dès lors exonérés de taxe annuelle sur les bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement en application des dispositions du 3° du IV de l’article 231 ter du Code général des impôts. L’administration fiscale a partiellement fait droit à sa demande en prononçant des dégrèvements à hauteur de 281 euros pour l’année 2018, 309 euros pour l’année 2019 et 371 euros pour l’année 2020. Par la présente requête, la société Deskodine, demande la décharge des impositions restant à sa charge.

Sur les conclusions aux fins de décharge :

2. Aux termes de l’article 231 ter du Code général des impôts : « I. – Une taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement annexées à ces catégories de locaux est perçue, dans les limites territoriales de la région d’Île-de-France (…) I. Sont soumises à la taxe les personnes privées ou publiques qui sont propriétaires de locaux imposables (…) III. – La taxe est due : 1° Pour les locaux à usage de bureaux, qui s’entendent, d’une part, des bureaux proprement dits et de leurs dépendances immédiates et indispensables destinés à l’exercice d’une activité, de quelque nature que ce soit, par des personnes physiques ou morales privées, ou utilisés par l’État, les collectivités territoriales, les établissements ou organismes publics et les organismes professionnels, et, d’autre part, des locaux professionnels destinés à l’exercice d’activités libérales ou utilisés par des associations ou organismes privés poursuivant ou non un but lucratif ; 2° Pour les locaux commerciaux, qui s’entendent des locaux destinés à l’exercice d’une activité de commerce de détail ou de gros et de prestations de services à caractère commercial ou artisanal ainsi que de leurs réserves attenantes couvertes ou non et des emplacements attenants affectés en permanence à la vente (…) V. – Sont exonérés de la taxe : (…) 3° Les locaux à usage de bureaux d’une superficie inférieure à 100 mètres carrés, les locaux commerciaux d’une superficie inférieure à 2 500 mètres carrés, les locaux de stockage d’une superficie inférieure à 5 000 mètres carrés et les surfaces de stationnement de moins de 500 mètres carrés annexées à ces catégories de locaux (…) ».

3. Pour l’application de ces dispositions, seule doit être prise en compte l’utilisation effective des locaux au 1er janvier de l’année d’imposition soit comme bureaux, soit pour la réalisation d’une activité de commerce ou de prestation de services à caractère commercial ou artisanal.

4. Il résulte de l’instruction que l’activité de la société Deskopolitan, exploitant des locaux dont est propriétaire la société requérante, consiste dans la mise à disposition d’espaces de travail et, selon les offres, un ensemble de prestations comme l’accès à des salles de réunion, à internet, à des prises électriques, à des espaces de détente et de convivialité, à une cuisine équipée et un service de restauration, à des cours de yoga, à des « espaces projets informels », à des cabines téléphoniques, à des équipements techniques ou encore à divers événements sociaux et professionnels qu’elle organise. Ses clients souscrivent des contrats de prestations de services conclus pour des durées variables et les tarifs, fixés de manière forfaitaire, dépendant des formules choisies. Le public intéressé peut enfin directement se rendre dans les locaux, dont la façade est coiffée d’une enseigne commerciale, pour les visiter, obtenir un devis ou souscrire sur place aux offres proposées. Dans ces conditions, les locaux concernés doivent être regardés comme utilisés par la société Deskopolitan pour la réalisation de prestations de service et doivent, ainsi, être qualifiés de locaux commerciaux et non de bureaux pour l’application des dispositions précitées de l’article 231 ter du Code général des impôts.

5. Il résulte de ce qui précède, dès lors qu’il n’est pas contesté que les locaux concernés ont une superficie inférieure à 2 500 m², que la société Deskodine est fondée à prétendre à la décharge des cotisations de taxe annuelle sur les bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement laissées à sa charge au titre des années 2018, 2019 et 2020. (…)

Conclusions

1 – La société requérante possède un immeuble, situé 48 rue du Château-d’Eau dans le 10e arrondissement, qu’elle a donné à bail à la SAS Deskopolitan (même si ce n’est pas formulé explicitement dans le dossier, il y a tout lieu de croire que Deskopolitan est une filiale de Deskodine, les deux sociétés ayant leur siège social à la même adresse. Cela est toutefois sans incidence puisque le II de l’article 231 ter du CGI précise que le propriétaire des locaux est redevable de la taxe.). Celle-ci y exerce une activité de « coworking », en français « cotravail » (JO5 août 2016, texte 138/167, p. 481), c’est-à-dire de mise à disposition d’espaces de travail, pour une durée généralement assez courte, accompagnés de divers services.

La société Deskodine a spontanément souscrit des déclarations de taxe sur les bureaux au titre des années 2018, 2019 et 2020 à raison d’une surface de 1 206 m² de bureaux dans cet immeuble, par suite desquelles elle a acquitté un montant de taxe sur les bureaux de 21 165 euros au titre de 2018, de 23 287 euros au titre de 2019 et de 27 955 euros au titre de 2020. Elle a présenté une réclamation le 22 décembre 2020 tendant à obtenir le dégrèvement de ces impositions, au motif que les surfaces en cause ne doivent pas être qualifiées de bureaux mais de locaux commerciaux. En effet, les locaux commerciaux d’une surface inférieure à 2 500 m² sont exonérés. Cette réclamation n’a été admise que partiellement, puisque l’administration a seulement consenti à exonérer les surfaces dévolues à l’« espace détente », à la « tisanerie », au « barbier » et aux locaux techniques. Elle a en revanche maintenu la qualification de bureaux pour la plus grande partie des locaux affectés au « coworking ».

La question que présente à juger cette affaire est donc une pure question de qualification juridique : les surfaces affectées à du « coworking » doivent-elles, au sens de la loi fiscale, être qualifiées de « bureaux » ou de « locaux commerciaux » ?

Commençons par une brève présentation des normes fiscales applicables.

2 – Nous empruntons la description de la taxe connue sous le nom de « taxe sur les bureaux » aux conclusions de Laurent Cytermann sur la décision du 24 avril 2019 (CE, 3e et 8e ch., 24 avr. 2019, n° 417792, min. c/ Indivision Chevrier – de Caffarelli : JurisData n° 2019-006391 : Dr. fisc. 2019, n° 27, comm. 319, concl. L. Cytermann, note J. Thiry ; RJF 7/2019, n° 670), décision que nous analyserons en détail car la solution du litige dépend de l’interprétation que vous en donnerez.

La loi n° 89-936 du 29 décembre 1989 de finances rectificative pour 1989 a créé la taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux (TSB) en Île-de-France, codifiée à l’article 231 ter du CGI. L’intention du législateur était de financer les investissements envisagés par les pouvoirs publics dans la région francilienne et d’orienter l’implantation des bureaux, en décourageant leur construction au cœur de l’agglomération parisienne par des tarifs plus importants. L’assiette de la taxe a été élargie par des interventions successives du législateur, au point que la dénomination qui lui est aujourd’hui donnée par le CGI est celle de « taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement perçue dans la région Île-de-France ». Son produit est aujourd’hui principalement affecté à la région Île-de-France et à la Société du Grand Paris.

L’article 231 ter du CGI dispose ainsi que la taxe est due « pour les locaux à usage de bureaux » (CGI, art. 231, III, 1°) ainsi que « pour les locaux commerciaux, qui s’entendent des locaux destinés » – entre autres – « à l’exercice d’une activité de (…) prestations de services à caractère commercial » (CGI, art. 231, III, 2°). Le 3° du V exonère (nous l’avons déjà évoqué) les locaux commerciaux d’une superficie inférieure à 2 500 m².

Venons-en à la jurisprudence du Conseil d’État, à laquelle les parties ne donnent pas la même portée.

3 – Par la décision Indivision Chevrier – de Caffarelli, le Conseil d’État a jugé que pour distinguer les locaux à usage de bureaux et les locaux commerciaux, il convient non pas de s’attacher à l’éventuelle destination stipulée dans les clauses du contrat de bail (ce que l’administration appelle, en défense, la « dénomination locative ») mais d’apprécier la nature de l’activité réalisée dans les locaux, c’est-à-dire leur « utilisation effective ».

Dans le cas d’espèce, l’indivision contribuable possédait un immeuble, donné à bail à un exploitant, lequel mettait l’essentiel des surfaces de cet immeuble à disposition des clients finaux pour l’organisation de séminaires ou de formations, tout en leur proposant des prestations accessoires, notamment de restauration et d’accueil. Toute la question était dès lors de savoir à quel niveau se placer pour apprécier l’activité car, comme le relevait le rapporteur public, « selon le niveau de la chaîne auquel on se place, l’activité ne recevra pas nécessairement la même qualification » : si l’on se place au niveau du bailleur, en effet, elle ne peut être regardée comme une activité commerciale, mais si on examine l’utilisation effective des locaux, alors elle doit recevoir cette qualification.

Il reste toutefois un angle mort : pour apprécier l’utilisation effective des locaux, faut-il se placer au niveau de l’exploitant, ou au niveau du client final ? En effet, si la décision du Conseil permet de tenir pour acquis que l’on ne peut se placer à l’étage supérieur (celui du bailleur), elle n’expose pas clairement s’il faut, pour porter cette appréciation, se placer à l’étage intermédiaire (celui de l’exploitant) ou à l’étage inférieur (celui du client final), ce qui était, dans le cas d’espèce, indifférent.

L’administration en défense vous demande de vous placer au niveau du client final. Elle estime que dans l’affaire Indivision Chevrier – de Caffarelli, c’est la circonstance que ces locaux étaient mis par l’exploitant à disposition de tiers qui s’en servaient pour des séminaires et formations et non pour des activités de bureau, qui a justifié la qualification de local commercial, et non le seul fait que l’exploitant s’en servait dans le cadre d’une offre de prestation de services.

À l’inverse, la requérante en réplique soutient en substance que l’activité du client final est indifférente, et que vous devez vous situer exclusivement au niveau de l’exploitant, qui exerce indubitablement une activité de nature commerciale.

Nous avouons n’être convaincus ni par l’une ni par l’autre de ces positions de principe.

Celle que défend la requérante a un caractère trop tranché, qui risque d’ouvrir la voie à des effets d’aubaine. Elle permettrait en effet à toute société propriétaire de bureaux d’une surface inférieure à 2 500 m² d’échapper à la taxe en mettant ces locaux à disposition d’un client final sous la forme juridique d’une prestation de services plutôt que d’un bail de location, quelle que soit l’utilisation faite par ce client final des locaux. Quant à celle que défend l’administration, elle conduirait en l’espèce à une casuistique tellement fine qu’elle serait concrètement impraticable, car il faudrait examiner l’usage principal que fait chaque client final des espaces qui lui sont attribués.

À notre sens, il faut donc en rester au critère identifié dans le considérant fiché de la décision Indivision Chevrier – de Caffarelli : vous devez ainsi apprécier globalement la nature de l’activité réalisée dans les locaux en cause au regard de leur « utilisation effective au 1er janvier de l’année d’imposition soit comme bureaux soit pour la réalisation d’une activité de commerce ou de prestation de services à caractère commercial », sans pour cela vous placer a priori au niveau de la société exploitante ou au niveau des clients finaux.

Nous observons enfin que, dans la loi comme dans la jurisprudence, les hypothèses dans lesquelles les locaux sont utilisés « comme bureaux » sont exclusives des hypothèses dans lesquelles ils sont utilisés « pour la réalisation d’une activité de prestation de services à caractère commercial ». Or – c’est tout l’intérêt du dossier – nous sommes confrontés au seul cas possible où les deux hypothèses coexistent puisque l’usage de bureaux est inclus dans une prestation de services.

Dans cette configuration particulière, vous devez donc déterminer si l’activité commerciale de prestation de services de l’exploitant l’emporte sur l’usage de bureaux de ses clients.

4 – Pour la requérante, « la mise à disposition d’espaces de travail pour les clients n’est qu’une composante indissociable de l’offre commerciale proposée par l’exploitant ». Elle fait valoir au soutien de cette affirmation la variété des services proposés (hôtellerie, restauration, événements sociaux et professionnels, mise à disposition de matériels techniques, etc.), la nature des contrats conclus avec les clients finaux (qui ne sont pas des contrats de location mais de prestation de services), et les modalités de tarification (qui dépendent des formules souscrites). Elle se prévaut en outre de deux rescrits, datés respectivement du 7 janvier et du 24 mars 2022, par lesquels les Directions départementale des finances publiques des Hauts-de-Seine et de la Seine-Saint-Denis ont admis que l’activité exercée par deux sociétés de coworking avait une nature commerciale pour l’application des dispositions de l’article 231 ter du CGI.

L’administration oppose à cette analyse globalisante une démarche qui consiste au contraire à abstraire les « prestations accessoires » proposées par l’exploitant de l’« utilisation principale effective » des locaux par les clients finaux. Elle a ainsi consenti un dégrèvement à raison de tous les locaux qui hébergent ces services accessoires, mais maintient l’assujettissement des autres espaces.

Pour notre part, nous l’avons dit, nous croyons qu’il faut porter une appréciation d’ensemble sur l’utilisation effective des locaux.

Sans entrer dans une analyse sociologique trop poussée, rappelons que ce qui a suscité l’apparition des espaces de coworking, c’est la combinaison des possibilités de travail à distance offertes par les outils numériques avec la montée en puissance de formes « désinstitutionnalisées » d’activité professionnelle, sous un statut indépendant, notamment d’auto-entrepreneur.

Cela a deux conséquences concrètes.

L’administration oppose à cette analyse globalisante une démarche qui consiste au contraire à abstraire les « prestations accessoires » proposées par l’exploitant de l’« utilisation principale effective » des locaux par les clients finaux. Elle a ainsi consenti un dégrèvement à raison de tous les locaux qui hébergent ces services accessoires, mais maintient l’assujettissement des autres espaces.

Pour notre part, nous l’avons dit, nous croyons qu’il faut porter une appréciation d’ensemble sur l’utilisation effective des locaux.

Sans entrer dans une analyse sociologique trop poussée, rappelons que ce qui a suscité l’apparition des espaces de coworking, c’est la combinaison des possibilités de travail à distance offertes par les outils numériques avec la montée en puissance de formes « désinstitutionnalisées » d’activité professionnelle, sous un statut indépendant, notamment d’auto-entrepreneur.

Cela a deux conséquences concrètes.

Premièrement, les clients des espaces de coworking ne cherchent pas, comme les travailleurs indépendants « classiques », de simples bureaux, car ils pourraient en fait travailler n’importe où, mais un lieu de vie au sens large, qui soit indissociablement un lieu d’activité et de rencontres. Dans un article à la Revue belge de géographie, Gerhard Kraus, maître de conférences en sociologie à l’université Rennes-2, écrit ainsi que « les espaces de coworking répondent à un besoin réel d’une frange grandissante des travailleurs autonomes du numérique qui apprécient l’insertion dans une communauté humaine leur permettant d’équilibrer leur projet de vie et leur carrière professionnelle » (Belgeo, Focus sociologique sur le phénomène des espaces de coworking dans les petites et moyennes villes dans le sud-ouest de l’Allemagne : Revue belge de géographie 2019/3).

Ainsi, pour employer un terme par ailleurs galvaudé, la société Deskodine ne vend pas seulement la mise à disposition d’espaces de travail mais une « expérience » globale qui n’est pas strictement professionnelle. Cet aspect « social » de son activité se matérialise par les nombreuses activités qu’elle propose à ses clients et qui, de ce point de vue, ne sont pas seulement « annexes » ou « accessoires » mais forment, inséparablement de la fourniture d’espaces de travail, le cœur de son offre.

Deuxièmement, les « travailleurs autonomes du numérique » évoqués par G. Kraus ne cherchent pas des bureaux stables mais un lieu de travail essentiellement temporaire. C’est pourquoi le lien juridique entre les utilisateurs de l’espace de coworking et l’exploitant est beaucoup plus précaire qu’un contrat de bail ; ainsi les premiers ne sont pas les locataires mais les clients du second.

Pour raisonner a contrario, un autre type de montage juridique serait possible, dans lequel la location des bureaux, faisant l’objet d’un contrat de bail, serait accompagnée de prestations de services faisant l’objet de contrats ad hoc, comme c’est du reste le cas pour de nombreuses entreprises qui louent des bureaux et contractent en sus des prestations de nettoyage ou de fourniture de matériel de bureau auprès d’un prestataire qui peut être leur bailleur.

En l’espèce, les contrats de prestation de service sont conclus à l’heure, à la journée, à la semaine ou au mois, soit des durées beaucoup plus brèves que celles des baux professionnels. Cet élément doit vous conduire, selon nous, à considérer que le centre de gravité de l’« utilisation effective » des locaux est plus proche de l’exploitant que des clients finaux.

Ainsi, compte tenu de l’ensemble des conditions concrètes d’utilisation des locaux, nous estimons qu’ils doivent recevoir la qualification de « locaux commerciaux » et non de « locaux à usage de bureaux » au sens et pour l’application de l’article 231 ter du CGI.

Par ces motifs nous concluons : 1° à la restitution des cotisations de taxe sur les bureaux spontanément acquittées par la société Deskodine au titre des années 2018, 2019 et 2020 ; 2° à ce que l’État soit condamné à verser une somme de 1 500 euros à la société Deskodine au titre des frais exposés par cette dernière et non compris dans les dépens.

Vincent Mazeau,
rapporteur public au tribunal administratif de Paris

Note

1 – Le jugement constitue une application de la jurisprudence Indivision Chevrier – de Caffarelli (CE, 3e et 8e ch., 24 avr. 2019, n° 417792, min. c/ Indivision Chevrier – de Caffarelli : JurisData n° 2019-006391 : Dr. fisc. 2019, n° 27, comm. 319, concl. L. Cytermann, note J. Thiry ; RJF 7/2019, n° 670), dans une espèce assez similaire.

Ici également, la cascade de contrats mise en place pour l’exploitation des locaux imposés a soulevé la question de la classification des locaux en matière de taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement annexées à ces catégories de locaux, classification selon laquelle les conditions d’assujettissement (et d’exonération) et les tarifs de la taxe annuelle varient.

Aussi, si le propriétaire a spontanément acquitté la taxe annuelle sur les bureaux en Ile-de-France pour les locaux litigieux, les déclarant comme bureaux, il a par la suite contesté cette classification et les conséquences qui en découlent, au motif que, selon la jurisprudence précitée du Conseil d’État, « seule doit être prise en compte l’utilisation effective des locaux au 1er janvier de l’année d’imposition ».

En complément des conclusions du rapporteur public ci-dessus publiées, et au-delà de la définition du critère retenu de l’utilisation effective des locaux (2), les conditions d’utilisation des locaux en l’espèce éclairent plusieurs difficultés rencontrées en pratique (1).

1. Les difficultés d’appréciation causées par les modalités d’utilisation des locaux

2 – Aux termes de l’article 231 ter du CGI, sont soumises à la taxe les personnes privées ou publiques qui sont propriétaires de locaux imposables ou titulaires d’un droit réel portant sur de tels locaux. La taxe est acquittée par le propriétaire, l’usufruitier, le preneur à bail à construction, l’emphytéote ou le titulaire d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public constitutive d’un droit réel qui dispose, au 1er janvier de l’année d’imposition, d’un local taxable. Toutefois, la classification du local taxable dépend, selon la jurisprudence précitée du Conseil d’État, de « l’utilisation effective » à cette même date.

Seule est posée ici la question de la classification des locaux, par le critère de l’utilisation effective, et non le principe de taxation des dits locaux, étant rappelé que l’état d’inutilisation ou de vacance, même pour une cause étrangère à la volonté du propriétaire, est sans incidence sur l’assujettissement à la taxe (V. not., CE, 8e ch., 27 déc. 2019, n° 427385, SCI Tour Air2 et SAS SPE II Boréale : Dr. fisc. 2020, n° 23, comm. 260, concl. K. Ciavaldini, noteO. ElArjoun).

Or, en l’espèce, le redevable n’est pas celui qui « utilise » les locaux. La présente affaire fait intervenir trois acteurs : la société Deskodine, qui est propriétaire des locaux ; la société Deskopolitan, titulaire du bail qui exploite les locaux pour une activité de mise à disposition d’espaces de « coworking » ; les « utilisateurs » – occupants, clients de la société Deskopolitan.

Cet état légal et jurisprudentiel, qui désigne le redevable par sa qualité et ses droits (propriétaire, l’usufruitier, le preneur à bail à construction, l’emphytéote ou le titulaire d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public constitutive d’un droit réel) mais fait dépendre la classification des locaux, et donc leur imposition, leur exonération éventuelle, et leur tarif, pour ce redevable, par leur utilisation effective, créé des difficultés d’appréciation non négligeables en pratique.

Rappelons que, conformément aux dispositions de l’article 231 ter, VII du CGI, les redevables sont tenus de déposer une déclaration (imprimé n° 6705-B) accompagnée du paiement de la taxe, avant le 1er mars de chaque année, auprès du comptable public compétent du lieu de situation des locaux imposables. Il leur appartient de liquider la taxe et donc de classer les surfaces à cette occasion.

Dans un cas comme en l’espèce, qui pourrait bien sûr se décliner, les locaux peuvent être utilisés, en bout de chaîne, de différentes façons, y compris au cours d’une même journée. Selon les termes du jugement, les locaux sont utilisés comme espaces de travail, salles de réunion, espaces de détente et de convivialité, cuisine, cours de yoga, « espaces de projets informels », cabines téléphoniques, ou encore pour divers événements sociaux et professionnels…

Une correcte appréciation et classification des locaux par le redevable légal non exploitant mais déclarant nécessitent de savoir, comme le souligne le rapporteur public, à quel niveau se placer (nous y reviendrons), et, en tout état de cause, une remontée efficace d’informations précises et justifiables au premier maillon de la chaîne. Sur ce point, la pratique et la jurisprudence indiquent que les redevables ne disposent que rarement des informations utiles lors des déclarations, qui reprennent, par facilité les mentions des baux, et corrigent ultérieurement leurs déclarations par voie de réclamations…

De plus, la date du fait générateur au 1er janvier de l’année d’imposition est également susceptible de poser difficulté pour l’appréciation de l’utilisation effective par le redevable si la grille retenue exigeait de se placer au niveau des clients finaux pour classifier les locaux. Outre leur utilisation multiple possible le 1er janvier, et potentiellement différente entre le 1er janvier et les autres jours de l’année d’imposition, quid en cas de vacance des locaux à cette date ?

Rappelons à ce titre que la situation de vacance (pour moins de la moitié de leur temps d’utilisation) est expressément envisagée pour les locaux à usage de congrès (BOI-IF-AUT-50-10, 19 févr. 2020, § 240).

Relevons enfin, que la notion de disposition par le redevable, visée par l’article 231 ter du CGI, est également source d’interrogations. En effet, cette notion de disposition n’a pas été, à notre connaissance, expressément définie à ce jour, même si la jurisprudence a précisé qu’elle résulte de l’achèvement des constructions, indépendamment de la circonstance que les locaux sont ou non utilisables par leur destinataire. Aussi, cette notion de disposition se distingue de l’utilisation ( CAA Versailles, 1re ch.,18 févr.2014,n° 12VE01623.–CE,(na), 3 déc. 2014, n° 378029, SNC Papso V : RJF 3/2015, n° 209). Elle ne correspond donc pas, par exemple, à celle applicable (et largement commentée) en matière de cotisation foncière des entreprises (et anciennement de taxe professionnelle), pour laquelle il semble acquis que les biens taxables à la disposition du redevable s’entendent de ceux qui sont placés sous son contrôle et que celui-ci utilise matériellement pour la réalisation des opérations qu’il effectue (V. not., CE, 9e et 10e ch., 12 avr. 2019, n° 417145, 417146, 417149 et 417150 Sté Printemps : JurisData n° 2019-006332 : Dr. fisc. 2019, n° 44-45, comm. 431, concl. É.Bokdam-Tognetti). Cette différence de définition nous semble pouvoir s’expliquer notamment par la différence de définition du redevable légal. En matière de cotisation foncière des entreprises, le redevable est défini, selon les articles 1447 et 1447 bis du CGI, par son activité, alors que, encore une fois, l’article 231 ter du CGI définit le redevable de la taxe annuelle par sa qualité et ses droits.

C’est dans ce contexte que la jurisprudence a posé le critère de l’utilisation effective des locaux au 1er janvier de l’année d’imposition, repris par le jugement commenté, mais dont les contours nous semblent encore mériter quelques éclaircissements.

2. La définition du critère de l’utilisation effective

3 – Relevons tout d’abord que la lettre de la loi classifie les locaux taxables selon leur usage ou leur destination à l’exercice d’une activité.
Par exemple, la taxe est due pour les locaux « à usage de bureaux » et ceux « destinés à l’exercice d’une activité de commerce de détail ou de gros et de prestations de services à caractère commercial ou artisanal » ou « destinés à l’entreposage ». D’ailleurs, selon les termes de la doctrine administrative (Instr. 11 mars 1999 : BOI 8 P-1-99, 18 mars 1999. § 7 ; Dr. fisc. 1999, n° 13, instr. 12191 ; BOI-IF-AUT-50, 19 févr. 2020, § 20), le classement dans la catégorie de taxation d’un local s’effectue en fonction de la destination pour laquelle il est conçu au 1er janvier de l’année d’imposition. Cette notion de « destination pour laquelle un local est conçu », confrontée au critère jurisprudentiel de « l’utilisation effective », peut être source d’interrogations.

En effet, la destination d’un local n’est pas une notion définie en matière de taxe annuelle. Par ailleurs, en matière d’urbanisme, si la notion de destination n’a jamais été véritablement définie par le législateur, il est communément admis que « la destination d’une construction désigne sa vocation fonctionnelle, autrement dit ce pour quoi elle est faite et non ce pour quoi elle est effectivement utilisée [que l’on qualifie d’affectation ou d’usage] » (V. not., S. Lamy-Willig, Les destinations en droit de l’urbanisme : point d’étape de la réforme de 2016 :Constr.-Urb. 2021, n° 9, étude 8). De plus, en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties, en vertu de l’article 1498 du CGI, en vue de l’évaluation de leur valeur locative, les locaux professionnels sont classés « dans des sous-groupes, définis en fonction de leur nature et de leur destination », et à l’intérieur de chaque sous-groupe, « par catégories, en fonction de leur utilisation, de leurs caractéristiques physiques, de leur situation et de leur consistance ».

Il en résulte que, si, en pratique, dans la grande majorité des hypothèses, l’utilisation effective correspond à la destination, les deux notions ne se rejoignent pas nécessairement. En effet, alors que le marché des locaux professionnels modulables, utilisables pour de très courtes durées et de multiples façons pour diverses activités, avec prestations associées, comme au cas d’espèce, s’est considérablement développé, cette différence entre ces deux notions peut être source d’interrogations. Pour y répondre, il nous semble que le critère fonctionnel réel de l’utilisation effective retenue par la jurisprudence, constante (ainsi, notamment, du seul fait que des locaux sont « utilisés pour la réalisation de prestations de services de nature commerciale auprès du public intéressé », il s’agit de locaux commerciaux et non de locaux de bureaux. CE, 8e et 3e ss-sect., 30 mars 2011, n° 336765, min. c/ Sté Crédit Industriel et Commercial : Dr. fisc. 2011, n° 26, comm. 406, concl. N. Escaut), paraît conforme à l’intention du législateur qui poursuivait un but d’aménagement du territoire en orientant l’implantation géographique des activités. En effet, les conclusions du rapporteur public sur la décision du 24 avril 2019 précitée, rappelaient que « l’intention du législateur était de financer les investissements envisagés par les pouvoirs publics dans la région francilienne et d’orienter l’implantation des bureaux, en décourageant leur construction au coeur de l’agglomération parisienne par des tarifs plus importants ». En outre, le Conseil constitutionnel a également précisé que l’objectif du législateur était de « corriger les déséquilibres de la région Île-de-France en matière de logement social, de transports collectifs et d’infrastructures de transports » (Cons. const., 29 déc. 1998, n° 98-405 DC, Loi de finances pour 1999 : JurisData n° 1998-108480 ; Rec. Cons. const. 1998, p. 326 ; RJF 2/1999, n° 194). Le même esprit semble avoir d’ailleurs motivé l’instauration d’une nouvelle taxe sur les bureaux, les locaux commerciaux et de stockage et les surfaces de stationnement situés dans les Bouches-du-Rhône, leVar et les Alpes-Maritimes à compter du 1er janvier 2023 (L. n° 2022-1726, 30 déc. 2022, art. 75 : Dr. fisc. 2023, n° 3, comm. 77, note B. Toulemont et A. Nikolic).

Toutefois, ce critère pose la question essentielle, plusieurs fois soulevée, du niveau auquel il faut se placer dans la chaîne d’utilisation des locaux pour l’apprécier et classer les locaux. La jurisprudence ne propose pas de réponse de principe, mais dessine une grille d’analyse.

Il est ainsi relevé qu’en se plaçant au niveau des utilisateurs finaux, la notion de « destination principale » a été utilisée par les juges du fond sans être confirmée par la suite (V. not., TA Paris, 19 déc. 2016, n° 1607754/2-1, en l’espèce aucune distinction entre les notions de destination et d’utilisation n’avait été faite). Il résulte néanmoins des conclusions du rapporteur public que la position en défense de l’administration, au cas particulier, reprenait l’idée d’une « utilisation principale effective » des locaux par les clients finaux. Nous comprenons que l’objectif de la défense était ici, au sein de l’activité de mise à disposition d’espaces de « coworking », de séparer la simple mise à disposition d’espaces de travail, caractérisant, selon la défense, « l’utilisation principale effective », des prestations accessoires proposées par l’exploitant, pour écarter la qualification commerciale globale des locaux. Toutefois, retenir ce critère « d’utilisation principale » emporte plusieurs critiques, principalement liées à l’aléa d’une utilisation finale résultant d’une location de courte durée dont les modalités peuvent être panachées et fixées au cas par cas, ainsi qu’au nombre de salles au sein d’un local litigieux pouvant recevoir en même temps des utilisations très différentes, et à son appréciation à la date du fait générateur (CE, 3e et 8e ch., 24 avr. 2019, n° 417792, min. c/ Indivision Chevrier – de Caffarelli : JurisData n° 2019-006391 : Dr. fisc. 2019, n° 27, comm. 319, concl. L. Cytermann, note J. Thiry ; RJF 7/2019, n° 670)

Compte tenu de ces critiques, de l’incertitude et de l’insécurité que fait peser ce critère sur le redevable légal, l’appréciation de l’utilisation effective des locaux au 1er janvier de l’année d’imposition, pour la classification des locaux, doit (ne peut que) se faire, de manière globale, sans se placer a priori au niveau de la société exploitante ou au niveau des clients finaux, ainsi que l’écrit le rapporteur public ci-dessus. Le critère de l’utilisation effective au 1er janvier de l’année d’imposition nécessite, pour son application, une analyse détaillée du cas particulier, notamment en cas de cascade de contrats « d’utilisation » des locaux (et la remontée d’informations correspondantes au redevable…).

Au cas particulier, seul le locataire principal utilisait les locaux, par bail, pour une longue durée, et seule l’appréciation à son niveau, de son activité dans son intégralité, permettait une classification certaine des locaux au 1er janvier des années d’imposition.

Julien Thiry,
avocat associé du cabinet Berger Thiry Associés – Réseau Prad Avocats


JURISCLASSEUR : JCl. Fiscalité immobilière, fasc. 1550, par B. Toulemont et H. Zapf

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